« Du sang dans nos portables » : les minerais du sang en RDC

“Je m’appelle Denis Mukwege. Je viens d’un pays, le plus riche de la planète, et pourtant, le peuple de mon pays est parmi les plus pauvres du monde. La réalité troublante est que l’abondance de nos ressources naturelles, or, coltan, cobalt et d’autres minerais stratégiques, alimentent la guerre, source de violence extrême et de pauvreté abjecte, en République Démocratique du Congo.

Nous aimons tous les belles voitures, les bijoux, les gadgets, j’ai moi-même un smartphone. Ces objets contiennent des minerais qu’on trouve chez nous. Souvent extraits dans des conditions inhumaines, par des enfants, jeunes, qui sont victimes d’intimidation et de violences sexuelles.

En conduisant votre voiture électrique, en utilisant votre smartphone, en admirant vos bijoux, réfléchissez un instant au coût humain de la fabrication des ces objets”.

Cet extrait du discours prononcé par Denis Mukwege le 10 Décembre 2018 lors de la réception de son prix Nobel de la Paix a fait le tour du monde. Un discours poignant, qui se veut alerter le monde entier sur la situation alarmante en République démocratique du Congo, qui subit depuis 1998, le conflit le plus meurtrier depuis la seconde guerre mondiale, ayant fait environ 6 millions de morts selon les chiffres communément admis. Un pays miné par la corruption, les conflits armés, la militarisation de l’économie aux mains de seigneurs de guerre, qui terrorisent, exploitent, violentent et violent les populations locales pour pouvoir exploiter et avoir la main sur les ressources minières convoitées par les multinationales du numérique.

La République Démocratique du Congo: un territoire géo-stratégique

C’est dans l’Est du pays que se concentrent la plupart des ressources stratégiques et tant convoitées. Un territoire disputé par des groupes rebelles pour l’appropriation des ressources. D’après les chiffres communément admis, 60% de la production de cobalt se fait en RDC, dans le Sud du pays, qui contiendrait près de la moitié des réserves mondiales. Il se place de par l’abondance de ses ressources, au rang de premier producteur et exportateur mondial de cobalt.

Parmi ces territoires, le Nord-Kivu et le territoire des Grands Lacs. Ce dernier se trouve à cheval sur les pays voisins de la RDC, dont l’Ouganda et le Rwanda, qui convoitent également les ressources du territoire (ce qui explique l’occupation des provinces dans l’est du pays par les troupes rwandaises et ougandaises entre 1996 et 2002). Une implication des pays voisins, qui se reflète également la composition de certains groupes rebelles en présence, notamment le groupe rebelle M23, soutenu par le Rwanda.

Cette abondance de ressources pourrait assurer un développement économique au Congo, mais elle le plonge au contraire dans des situations de pillage, de convoitises, de guerre, d’exploitation illégales et meurtrières des ressources stratégiques du pays.

Des ressources convoitées provoquant instabilité, guerres civiles, luttes armées et faisant de la RDC la “capitale du viol”

“Les ressources minérales sont au cœur des conflits qui font rage depuis vingt ans. C’est la guerre la plus meurtrière depuis la Seconde Guerre mondiale. Les gens le savent-ils ?” Article de Courrier International, “République démocratique du congo.Les “minerais de sang” coulent toujours”

L’économie et la finance sont le nerf de la guerre. Et Denis Mukwege n’a de cesse de le rappeler lors de ces discours. Il dénonce notamment l’usage de la violence et surtout du viol, comme tactique de guerre par les seigneurs de guerre. Leur stratégie: détruire des communautés par la violence et le viol, pour pouvoir contrôler les minerais des territoires, utilisés pour fabriquer nos téléphones portables ou encore nos ordinateurs.

Carte des groupes rebelles dans l’Est de la RDC (source Oxfam)

Des seigneurs de guerres insérés dans un commerce d’armes financé par le pillage des ressources. A cet égard, l’ONU a imposé par une résolution du 28 Juillet 2003, un embargo sur la vente ou le transfert directs ou indirect d’armes, ou toute assistance, conseils ou informations se rapportant à des activités militaires, à tous les groupes armés et milices étrangers et congolais opérant dans le Nord et Sud-Kivu et l’Ituri”

Un trafic illégal, difficile à contrôler du fait notamment des frontières orientales de la RDC qui partage 9 000 kms de frontière avec neuf pays voisins”, qui rend difficile le contrôle des mouvements de vente d’armes.

“Comment me taire, quand nous savons que ces crimes contre l’humanité sont planifiés, avec un mobile économique? Comment me taire, quand ces mêmes raisons économiques ont conduit à l’usage du viol comme une stratégie de guerre (…). Quel est cet être humain, doué de conscience qui se tairait quand on lui amène un bébé de six mois, dont le vagin a été détruit, soit par la pénétration brutale d’un adulte, soit par des objets contondants, soit par des produits chimiques” Discours de Denis Mukwege devant le Parlement Européen en 2014, lors de la remise du prix Sakharov pour la liberté de l’esprit

Des ressources convoitées par l’industrie du numérique

« Avec le cobalt, ressource indispensable pour le développement de la voiture électrique, la République démocratique du Congo est au cœur d’un enjeu industriel stratégique.” Article de Le Point Afrique “RD Congo : son cobalt en fait un pays pas comme les autres”

Voitures électriques ou encore batterie de téléphone: le cobalt est un minerais utilisé dans la fabrication de la plupart des outils électroniques et numériques qui font partis de notre vie quotidienne. Souvent désigné comme “Les diamants de sang du XXIe siècle”, le cobalt est source de convoitise pour l’industrie du numérique.

Dans son livre “Les minerais de sang. Les esclaves du monde moderne”, Christophe Boltanski établit un récit de son “voyage” en RDC au Nord-Kivu, et alerte sur la “mondialisation du crime”  au nord du Kivu.

« Je voulais montrer que ce qui se passe très très loin a finalement des impacts sur nous tous puisque chaque jour, nous utilisons des appareils électroniques dans lesquels se trouvent des minerais qui ont sans doute été extraits, puisés dans cette partie du monde »

Cobalt, cuivre, étain, cassitérites… autant de minerais utilisés dans la fabrication de nos téléphones portables ordinateurs mais aussi… les voitures électriques!

[Concernant le cobalt] “Notre téléphone portable en contient cinq à dix grammes, notre ordinateur, une trentaine de grammes, et le moteur d’un véhicule électrique, entre cinq et dix kilos. Résultat, le prix de ce métal bleuté a quadruplé entre 2016 et 2018. Et ce n’est pas fini. Actuellement, la production mondiale tourne autour de 120 000 tonnes. D’ici deux ou trois ans, les constructeurs automobiles en réclameront deux ou trois fois plus.” Article de Le Point Afrique “Le cobalt de nos téléphones portables est-il extrait par des enfants en Afrique ?”

Ce marché de la voiture étant en pleine expansion, présentée comme une alternative au pétrole, il faut se demander si la situation en RDC est prête de s’arranger. Son meilleur respect de l’environnement et de l’écologie ayant déjà été nuancée, la voiture électrique pourrait accentuer la violations des Droits Humains en RDC. Un marché de la voiture électrique qui a notamment été érigé comme l’une des sept industries émergentes prioritaires par la Chine. Selon un article de courrier international, “le business du cobalt est détenu par une nébuleuse entreprise chinoise (Congo Dongfgang International Mining). Elle est en situation de quasi-monopole sur le terrain (90% de la production), et fournit presque toutes les grandes multinationales”.  

De l’esclavage moderne

Ces minerais sont extraits dans des conditions inhumaines par des hommes, femmes mais surtout enfants… au péril de leur vie et de leur santé. Appelés “les creuseurs”, ces derniers fourniraient près de 40% de la production mondiale de cobalt.

“Racheter du cobalt à ces malheureux non déclarés revient beaucoup moins cher que d’extraire ce métal dans des mines agréées, respectant des conditions sanitaires et de sécurité minimum et salariant (presque) convenablement des ouvriers” Article de Le Point Afrique “Le cobalt de nos téléphones portables est-il extrait par des enfants en Afrique ?”

Selon une estimation de l’UNICEF, 40 000 jeunes garçons et filles creusent dans les mines de RDC, sans compter le nombre d’adultes. Des personnes exploitées, payés une misère, dont les bénéfices de l’exploitation revenant aux seigneurs de guerre qui contrôlent les mines.

Des lois pour lutter contre l’achat de minerais dans les zones de conflits, aux effets limités

Aux Etats-Unis, une réforme financière votée en 2010, le Dodd-Frank Act, contenait un paragraphe obligeant les entreprises cotées à Wall Street à déclarer tout recours à des minerais de cette région. Oblige à DÉCLARER: à aucun moment la loi n’interdit d’utiliser ces ressources issues des zones de conflit. Les entreprises sont simplement tenues de l’indiquer, et communiquer ces informations à la Security Exchange Commission.

Une limite renforcée par la difficulté de remonter la chaîne d’approvisionnement pour déterminer la provenance des minerais utilisés “Il est difficile de déterminer la provenance de minuscules quantités de minerais qui sont souvent passés par la contrebande dans des pays voisins du Congo”. Les multinationales elles-mêmes ne sont parfois pas en mesure de déterminer la provenance des minerais de leurs produits. Une étude menée par PricewaterhouseCoppers en 2014, montre que moins de la moitié des entreprises interrogées prévoyaient de renoncer aux minerais issus de zones de conflit.

Des effets limités, mais aussi des conséquences inattendues, révélées notamment par un enquête du Washington Post: un certain nombre de congolais se sont retrouvés au chômage, et ont rejoint des milices pour pouvoir subvenir aux besoins de leurs familles.

Le Parlement européen a également adopté un règlement sur le “négoce des minerais de sang” en Mars 2017, précisant que les sites d’extraction doivent être certifiés, pour contraindre les importateurs de l’Union européenne de métaux issus de zones de conflits, à s’assurer qu’ils ne financent pas de groupes armés et que leur production ne participe pas à des violations des droits humains. Une obligation qui ne s’appliquera qu’à partir de janvier 2021. Seconde limite: les entreprises n’important qu’une petite quantité de ces minerais ne sont pas concernés par cette loi.

“La jeune génération tient vraiment à la traçabilité éthique. Le produit ne doit pas seulement être fonctionnel, il doit représenter quelque chose. Il doit être le symbole de ce en quoi les gens croient, de ce à quoi ils tiennent”. Lina Ramos,  responsable du groupe Source Intelligence

Rédaction : Lucie DE LAPORTE

Sources :


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